A la recherche d’un emploi
• Le quotidien du pharmacien n° 3297 du Lundi 24 octobre 2016
Avec la situation économique difficile des pharmacies, le chômage ne cesse de monter parmi les adjoints.
À la recherche d’un emploi
Aujourd’hui, les adjoints en pharmacie ne sont pas en position de force pour négocier leur embauche. Les salaires proposés sont bas, beaucoup de postes sont des remplacements ou des temps partiels. Les disparités régionales étant fortes et les demandes plus nombreuses en zone rurale ou semi-rurale, la mobilité est un atout de premier choix. Mais elle n’est pas toujours compatible avec la profession très féminisée et les contraintes familiales parfois importantes.
●●« Quand on est adjoint en pharmacie et au chômage, tous les réseaux sont bons à activer pour retrouver un emploi », conseille vivement Armand Gremeaux (cabinet de recrutement en pharmacie Pharm-Emploi) : candidature spontanée en allant se présenter dans les pharmacies ou en envoyant son CV, petites annonces via les grossistes-répartiteurs, les groupements, Pôle emploi, bouche à oreille, livreur de la répartition, coup de téléphone à ses amis pharmaciens ou anciens de la faculté… Pour les plus jeunes, la recherche est quelque peu différente : « elle passe via les comptes Facebook des corporations étudiantes, qui éditent en temps réel les annonces. C’est un mode de communication visible, rapide et puissant », observe Élodie Pacheco (Pharma Like, plateforme de recrutement en pharmacie). Souvent, une recherche tous azimuts porte ses fruits, dans la mesure où elle est réalisée sérieusement : « il faut rappeler, relancer… », souligne Armand Gremeaux, qui estime qu’une recherche d’emploi équivaut à un travail à mi-temps : « On y passe au moins quatre heures chaque jour. » Ensuite, décrocher un emploi nécessitera quelques atouts et quelques sacrifices. En effet, avec la situation économique difficile des officines, le marché de l’emploi est morose pour les adjoints en pharmacie, avec un taux de chômage qui avoisine les 12 %. Les adjoints ne sont donc plus en position de force lors d’une proposition d’embauche.
DES SALAIRES NON NÉGOCIABLES
Tout d’abord, la négociation est quasiment impossible en termes de salaire. « Les titulaires proposent rarement des coefficients au-dessus de 500, pour une expérience de 5 ou 6 ans. Les coefficients 550 sont rares, et impliquent alors de prendre des responsabilités (gardes, encadrement du personnel, etc.). Les coefficients 600 sont exceptionnels : il arrive d’en voir dans les très grosses officines lors de remplacements qui n’excèdent pas 15 jours », rapporte Armand Gremeaux.
En revanche, ce qui est plus embêtant, c’est que
l’on voit aussi fleurir de coefficients en dessous de la grille.
« Notamment, dans le Languedoc-Roussillon, où les postes
d’adjoints sont rares, certains employeurs proposent à des
adjoints expérimentés des embauches à 400 ou 450, alors
que selon la convention collective, leur statut correspond
à un coefficient 500 », s’inquiète Roger Halegouet (représentant
de la branche officine à la CFE-CGC Chimie). En
l’absence de travail, les pharmaciens acceptent ces salaires
sous-évalués. « Pire, on a vu des cas de titulaires proposant
des coefficients 350 à des adjoints, ce qui est en totale opposition
avec la convention collective qui débute à un coefficient
400 ! », alerte Olivier Clarhaut (secrétaire fédéral de la
branche officine à Force Ouvrière).
Sans en arriver à ces extrêmes, les adjoints qui ont de
l’expérience, et donc un coefficient élevé, ont beaucoup
plus de mal à retrouver un emploi que les jeunes, qui représentent
une main-d’oeuvre bon marché. Par exemple, Marie-
Christine, 56 ans, adjointe depuis 22 ans dans les Hautsde-
Seine, est en phase de se faire licencier. La pharmacie
dans laquelle elle travaille va être vendue à deux associés.
L’adjointe est bien consciente que son coefficient 600 est à
la fois un élément déclencheur de son licenciement et un
frein pour trouver un nouvel emploi. « On se débarrasse des
postes qui coûtent cher, c’est classique », constate Marie-
Christine. La pharmacienne compte bien néanmoins retrouver
du travail : « Je n’hésiterai pas à baisser mon coefficient,
ni à faire plus d’heures. Et si je ne trouve pas, j’aiderai
ma fille, jeune diplômée, à s’installer. Il y a toujours une solution
! », positive-t-elle.
SOUPLESSE DES HORAIRES
Les employeurs sont également à la recherche de salariés
ayant une certaine souplesse au niveau du temps de
travail : travailler jusqu’à 19 h 30 ou 20 heures, un samedi
sur 2, ou encore les mercredis, fait souvent partie du
contrat. Ce qui n’est pas toujours idéal dans un métier à
80 % féminin. Pour Anne, cette problématique est devenue
un vrai casse-tête. L’adjointe de 40 ans est employée
depuis 5 ans dans une pharmacie en Rhône-Alpes. Elle va
prochainement quitter son emploi dans le cadre d’une rupture
conventionnelle, sans doute déclenchée par l’attitude
du titulaire qui souhaite son départ depuis l’annonce de
sa seconde grossesse. « Afin de précipiter les choses, le titulaire
m’a concocté un emploi du temps épouvantable depuis
mon retour de congé maternité : rythmé sur 15 jours, avec des
sorties tardives quatre jours par semaine et du travail certains
samedis toute la journée, alors que je ne faisais qu’un
samedi matin sur deux auparavant. Pourtant, vu la taille
de la pharmacie (11 personnes dont 3 adjoints), il aurait été
si simple de trouver un terrain d’entente », regrette-t-elle.
Aujourd’hui, la quadragénaire est assez pessimiste sur son
avenir d’adjointe, étant donné ses contraintes familiales et
la morosité du marché du travail. Mais loin d’être dégoûtée
de l’officine, Anne songe à s’installer. « Je regarde les pharmacies
à vendre, j’ai contacté un courtier… Je suis au début
de la démarche, mais si je suis encore disposée à reprendre
un poste d’adjointe pour quelque temps, ma volonté, à terme,
est d’acheter une officine », confie-t-elle.
n ADJOINT NOMADE, UN NOUVEAU GENRE
Être mobile est aussi un atout de premier ordre. En effet,
si les emplois d’adjoints sont rares dans les grandes villes,
notamment universitaires, il y a en revanche beaucoup de
postes à pourvoir en zone rurale ou semi-rurale, ou encore
en région parisienne. Ainsi, Jacques, 42 ans, va de remplacement
en remplacement en Île-de-France. « J’habite à
Paris, je me déplace sur toute la région et je ne manque pas de
travail ! », constate-t-il, en ajoutant que son profil convient
souvent très bien aux employeurs : « Étant un homme célibataire,
je suis mobile et souple au niveau des horaires, et j’ai
une grosse expérience en remplacement de titulaires. »
Certains adjoints n’hésitent d’ailleurs pas à surfer sur
ce créneau de l’hypermobilité. « Ce qui est d’autant plus
d’actualité que les CDI sont rares et que les remplacements
sont assez nombreux en pharmacie », estime Muriel Darniche
(agence de recrutement en officine Team Officine).
Ces adjoints nomades sont souvent des hommes. « Ils travaillent
en tant qu’auto-entrepreneur et enchaînent les remplacements
parfois très loin de chez eux, sous réserve d’avoir
un logement offert, ou à prix très attractif, sur place. Ils maîtrisent
leur emploi du temps comme ils le souhaitent. Certains
d’entre eux ont même un site Internet avec leur planning
! », avance Élodie Pacheco. Toutefois, l’adjoint nomade
est loin de représenter la majorité des adjoints, qui sont en
général peu mobiles : « Les adjoints font partie d’une classe
sociale qui a envie de vivre en ville ou sur la côte. Ce sont à
80 % des femmes, avec une vie de famille et des enfants. Il y
a des enjeux personnels forts qui expliquent ce manque de
mobilité », analyse Muriel Darniche.
n UNE FORMATION QUI FAIT LA DIFFÉRENCE
Enfin, une formation très spécifique peut être un atout
supplémentaire pour se différencier des autres candidats.
Par exemple, Marie-Catherine Jouhans-Bel, 53 ans, adjointe
en région lyonnaise, possède un DU d’aromathérapie
qui a fait la différence pour trouver son dernier emploi : « la
titulaire souhaitait développer ce secteur ! », précise-t-elle.
D’autres diplômes, tels que l’orthopédie sur mesure, la nutrition,
les conseils en pédiatrie, peuvent être très appréciés
d’un employeur qui souhaite se lancer dans une nouvelle
activité. De plus, Marie-Catherine cumule d’autres atouts.
« Je suis femme de militaire et, malgré les mutations de mon
époux tous les 3 ou 4 ans, j’ai toujours trouvé du travail en
officine, que ce soit en Seine-et-Marne, en Moselle, en région
lyonnaise ou ailleurs », déclare-t-elle. Pour décrocher un
emploi, elle ne lésine pas sur les moyens : elle se déplace à
plus de 30 km de chez elle, travaille tard et en zone rurale.
De plus, elle n’est pas très exigeante sur le salaire. « Comme
je repars à chaque fois de zéro, mon coefficient reste à 500
malgré plus de 25 ans de carrière ! », sourit-elle.
n LA CARTE DE LA RECONVERSION
Enfin, certains adjoints, ne trouvant pas de travail en
officine, songent à quitter la profession. « Chaque semaine,
je reçois des appels de pharmaciens qui envisagent de se
réorienter vers la répartition, vers un poste dans un groupement,
ou dans le recrutement », évoque Muriel Darniche.
Le travail en parapharmacie ou dans la grande distribution
a moins la cote : « cette option qui peut financièrement être
intéressante est socialement mal vécue des pharmaciens,
et peu d’adjoints sautent le pas. Souvent le versant professionnel
de santé finit par leur manquer », poursuit Muriel
Darniche. D’autres ont opté pour des reconversions partielles
: « une adjointe à temps partiel a développé en complément
une activité de réflexologie plantaire deux journées par
semaine », cite Élodie Pacheco. D’autres pistes sont possibles,
comme se réorienter vers l’industrie agroalimentaire,
qui recherche des responsables qualité sécurité
et environnement. « Avec un doctorat de pharmacien, les
portes de sortie sont heureusement encore nombreuses. Le
pharmacien est bien armé pour la reconversion », reconnaît
Olivier Clarhaut. ●●Charlotte Demarti
Trois questions à…
Rémi Debeauvais
Directeur au cabinet de consultants Ithaque*
Le Quotidien du Pharmacien. – Comment évolue le chômage
des adjoints ?
Rémi Debeauvais. – Il est toujours en augmentation,
de l’ordre de 10 % par an, selon les derniers chiffres de Pôle
emploi. Aujourd’hui, on compte près de 6 000 pharmaciens
au chômage en fin d’année 2016. Mais il s’agit de pharmaciens
issus de tous les secteurs : établissement médical,
officine, répartition, etc. On estime que 65 % des inscrits
proviennent de la pharmacie d’officine, ce qui revient à un
taux de chômage de 11 à 12 %. Toutefois, une part importante
d’entre eux travaille à temps partiel.
Quel est le profil des adjoints au chômage : leur âge, leur
durée de chômage ?
Selon notre étude réalisée pour L’OMPL basée sur les
données ne concernant que les adjoints, ce sont plutôt les
jeunes qui sont impactés : un bon quart des adjoints au
chômage a moins de 30 ans, sans doute sous l’effet du fort
nombre de jeunes pharmaciens qui sortent de la faculté.
Mais on observe aussi qu’avec le temps, de plus en plus
d’adjoints dans les classes d’âges plus élevées se retrouvent
au chômage. La durée de chômage semble également s’allonger
: 40 % des adjoints au chômage partiel ont travaillé
moins de quatre mois sur l’année.
Quelles sont les disparités régionales du chômage ?
Les disparités régionales sont fortes : les écarts peuvent
varier du simple au double. Le chômage des adjoints est
le plus fort dans les DOM (23 %), dans les Pays de la Loire
(17,1 %), puis en Auvergne, en Rhône-Alpes et en Nouvelle-
Aquitaine, où il est de l’ordre de 14 %. À l’opposé, certaines
régions tirent mieux leur épingle du jeu : l’Île-de-France
(7,5 %) le Grand Est (6,5 %) et le Centre-Val-de-Loire (3,7 %).
● Propos recueillis par C.D.
* Ithaque a réalisé l’étude « Le chômage des pharmaciens
adjoints », pour l’Observatoire des métiers dans les professions
libérales (OMPL).